La Voie romaine
Après avoir déjeuné à Reims et visité sa magnifique cathédrale, nous empruntons l’ancienne voie romaine pour nous rendre à Baconnes, première étape de notre pèlerinage sur les lieux des batailles de Marc.
Dans le Journal des Marches et Opérations (JMO) du 14 septembre 1914, il est écrit :
Dans la matinée le Régiment rattaché depuis son arrivée en Champagne au 11e Corps reçoit l’ordre de rallier le 9e Corps avec le 114e.
Direction : Baconnes-Prosnes. En arrivant aux hauteurs de Baconnes il est soumis à un feu extrêmement violent de l’artillerie ennemie. Il est environ 11h la 18e Division dont fait partie provisoirement le Régiment reçoit l’ordre d’attaquer le front Mont-haut-Moronvillers. Le mouvement s’exécute sous des rafales violentes d’artillerie de gros calibre allemandes installées sur les hauteurs à l’Est de Reims. Le Régiment progresse néanmoins mais après avoir dépassé la voie Romaine il ne peux plus avancer.
Il a déjà subi des pertes sérieuses et reçoit l’ordre de se reporter un peu en arrière de la voie Romaine et d’y organiser une position de repli.
Voici cette Voie Romaine qui a été restaurée en 1861 après avoir été complètement détruite par les Allemands :
Un monument érigé par Napoléon III fixe cette rénovation :
Monument érigé par Napoléon III pour la rénovation de la voie romaine en 1861.
La région, très agricole, est plate. On comprend la nécessité de creuser des tranchées ! Impossible de trouver des positions de repli dans ce paysage à découvert :
Baconnes
Nous arrivons ensuite à Baconnes, où Marc Puissant sera blessé le 17 septembre 1914.
Dans le JMO du 15 septembre 1914, il est écrit :
A 7h, le Régiment reçoit l’ordre de reprendre la marche en avant dans la direction de la veille, encadré à droite par le 114e, à gauche par le 32e. L’objectif qui lui est assigné est Moronvillers. Le Régiment qui s’avance en ligne de colonne largement ouvertes est soumis dès le début du mouvement à un feu très violent de l’artillerie allemande qui fait un barrage le long de la voie Romaine. Il parvient néanmoins au prix de pertes assez sensibles à gagner vers midi le terrain occupé la journée précédente. Il est opposé à partir de ce moment au feu de l’infanterie qui occupe les pentes boisées au sud de Moronvillers et il doit progresser très lentement et par petites fractions à la faveur des petits bois de sapin rectangulaires de la côte 181.
À 15h le Régiment en entier occupe les lisières Nord des bois et les intervalles qui séparent ces bois. Il essaie de déboucher mais il a à franchir un espace découvert de 5 à 600 mètres en pente douce très apprécié par l’infanterie ennemie qui apparaît alors fortement retranchée, et il ne peut plus le faire qu’en laissant avec les Régiments qui l’encadrent mais la progression a été arrêtée.
Il creuse des tranchées sur place et y passe la nuit.
Ce même jour, le train Rre [?] est accueilli en débouchant de la voie Romaine par une violente rafale de l’artillerie lourde ennemie et perd 13 hommes, 20 chevaux, 6 voitures.
Baconnes est aujourd’hui un village moderne qui ne garde aucune trace des épisodes tragiques qui se sont déroulés 100 ans auparavant.
Voici l’entrée de Baconnes :
En ville, on trouve simplement, comme dans presque tous les villages français, un monument aux morts de la commune :
Monument aux morts de la commune de Baconnes, Marne.
Pontfaverger-Moronvilliers
De Baconnes, nous prenons la direction de Moronvilliers au nord. Nous découvrons ce massif situé entre Baconnes et Moronvilliers :
Massif forestier entre Baconnes au sud et Moronvilliers au nord.
Pas moyen de se cacher ! Les pertes, dans ces journées de la Bataille de la Marne, sont très importantes face à un ennemi bien implanté.
JMO du 16 septembre 1914 :
Violente canonnade toute la nuit. Le régiment se maintient sur ses positions qu’il renforce.
Le combat continue toute la matinée.
16h. Ordres d’offensive au C.A. Le 125e Régiment l’exécute aussitôt et descend rapidement les pentes au Nord de la côte 131 sous un feu très vif des tranchées ennemies de la côte 181. Il va occuper les lisières de bois face à ces tranchées et à environ 800 m des [illisible] tranchées. Il ne peut aller plus loin et se retranche sur place.
Pertes assez nombreuses. Sous-Lieutenant Musset tué. Canonnade toute la nuit.
Au carrefour de la D931 et de la D34 en direction de Pontfaverger, nous découvrons ce monument dédié à la désastreuse offensive d’avril 1917 dite du « Chemin des Dames » qui fit 100.000 morts pour quasiment rien !
Avec cette impressionnante céramique :
Puis nous arrivons à Pontfaverger-Moronvilliers. Le village de Moronvilliers a été détruit et n’a pas été reconstruit, comme beaucoup de village de la guerre, par crainte des obus encore enterrés. Par devoir de mémoire, le nom de Moronvilliers a été accolé à celui du village de Pontfaverger :
Un monument au mort de la commune est dressé au bout d’un chemin :
Monument aux morts du village détruit de Moronvilliers.
Il permet de situer là où se trouvait l’ancien village dont on aperçoit encore les rues reprises par la végétation :
D’autres noms de villes évoquent dans mon esprit ces lieux où Marc a mené bataille, Souain, Suippe, Somme-Py, Perthes-les-Hurlus. Voici le récit des combats dans cette région [1] :
16 septembre.
IXe Armée. - Le Général Foch songe à appliquer son effort principal à l’est de la Suippe où la résistance ennemie paraît faiblir. Les 21e et 11e Corps prendront comme objectif la route Somme-Py-Dontrien. Au petit jour, un brouillard épais règne sur la Suippe ; sur les deux rives de la rivière et plus à l’est, les troupes d’attaque sont arrêtées par le feu de l’adversaire sans avoir pu aborder la ligne ennemie. La situation de la IXe Armée est donc, le 16 au soir, à peu près semblable à celle de la veille.
IVe Armée. - À gauche, le 12e Corps, chargé d’appuyer l’attaque de la IXe Armée, ne peut, lui non plus, déboucher. Par ailleurs, les opérations prévues marquent un temps d’arrêt. Le 2e Corps envisage un repli sur une position plus favorable. Le Corps colonial organise le terrain conquis la veille tout en se mettant sur la défensive. Au 17e Corps, la 34e DI pousse vivement son attaque sur Tahure. Le village de Perthes-les-Hurlus est enlevé, mais rendu inutilisable par le feu précis des obusiers allemands ; il est abandonné peu après.17 septembre.
IXe Armée. -Au 9e Corps, toutes les offensives déclenchées en direction du massif de Moronvilliers se heurtent à une résistance acharnée. Ayant appris, en début de matinée, la prise de Perthes.les-Hurlus par le corps de gauche de la IVe Armée, le Général commandant le 21e Corps forme une brigade d’attaque pour exploiter le succès remporté par le corps. Celle-ci se heurte dans l’après-midi à une résistance tenace de l’adversaire, dont le feu l’empêche de déboucher de la lisière des bois où elle se fixe.
Le dispositif des armées est remanié ; la IXe Armée élargit vers l’ouest sa zone et prend à son compte la défense de Reims. Le 12e Corps est mis à sa disposition. IVe Armée. -Une attaque est déclenchée vers 13 h 30 dans la région boisée à l’ouest de Perthes et en direction de Tahure. Les éléments engagés ne peuvent dépasser la route Souain-Perthes en raison de l’intensité du feu ennemi.
Au loin, nous apercevons la Nécropole nationale de Sommepy-Tahure qui accueille les soldats tombés dans les communes environnantes pendant la Première Guerre mondiale. Malheureusement, aucun chemin praticable en voiture n’y mène et pas question pour ma mère, qui a 92 ans, de s’approcher.
Nécropole nationale de Sommepy-Tahure.
Ossuaire de Navarin
Plus loin, en direction de Souain-Perthes-Hulus, sur le bord de la RD 77, découvrons l’imposant Monument-ossuaire de « La Ferme de Navarin » :
Monument-ossuaire de ’La Ferme de Navarin’.
Ce monument accueille les soldats morts au cours de la campagne de Champagne, 1.000 plaques des soldats disparus, et 10.000 restes de soldats la plupart anonymes. Impressionnant.
Le site http://www.marne14-18.fr/index.php/circuit/monuments, décrit ainsi la statue au sommet de la pyramide :
Statue surmontant le monument-ossuaire de ’La Ferme de Navarin’.
Le soldat au centre a les traits du Général Gouraud, lui-même [qui a fait édifier le monument]
Le soldat de droite a les traits de Quentin Roosevelt, son fils cadet de Théodore Roosevelt, abattu au dessus de Coulonges-Cohan (02),
Le soldat de gauche a les traits du frère du sculpteur Real del Sarte [l’auteur de la statue], tué sur le Chemin des Dames pendant la première guerre mondiale.
Souain Perthes-lès-Hurlus
L’entrée de la ville de Souain, rebaptisée Souain-Perthes-lès-Hurlus.
Poursuivant notre route, nous atteignons le village de Souain-Perthes-lès-Hurlus. Les villages de Souain et de Perthes-lès-Hurlus ont été ravagés par la guerre. Seul le village de Souain sera reconstruit. Celui de Perthes-lès-Hurlus ne l’est pas ; il est situé dans l’enceinte du camp militaire de Suippe.
Peu avant le village se trouve la Nécropole Nationale de Souain qui rassemble 30 734 sépultures dont 9 050 seulement ont pu être identifiées :
Nécropole nationale de Souain.
Varennes-en-Argonne
Nous quittons la Champagne pour la Meuse où nous voulons retrouver la commune où Marc a été tué en février 1916 pendant la bataille de Verdun.
En chemin, nous découvrons à Varennes-en-Argonne, ville célèbre pour son arrestation de Louis XVI en fuite, un magnifique monument édifié en souvenir des soldats américains de Pennsylvanie engagés dans la Première Guerre mondiale et qui ont libéré le village.
Monument américain de Varennes-en-Argonne.
Monument américain aux morts de Pennsylvanie à Varennes-en-Argonne.
Depuis le monument, on a une très belle vue sur la campagne environnante :
Tout au long de notre déplacement, nous sommes d’ailleurs impressionnés par la beauté des paysages que nous traversons. Ce sont essentiellement des terres agricoles, constituées de parcelles souvent très vastes, où s’active un seul engin, très solitaire... Tout est merveilleusement entretenu ; les villages sont fleuris. Qui pourrait imaginer que ces terres ont été le théâtre d’un des plus effroyables conflits modernes ? Tout paraît si gai, serein... Mais n’oublions pas qu’à cette terre est mêlée la chair de nos soldats, comme ce fut le cas pour mon grand-oncle Marc dont on n’a pas retrouvé les restes.
Louvemont-Côte-du-Poivre
Après une heure et demi de route nous arrivons dans la région de Verdun. Le GPS nous plantant un peu en rase campagne, nous demandons notre chemin à une charmante personne qui nous indique la bonne direction...
Et nous arrivons enfin au terme de notre route :
Louvemont a été rayé de la carte.
Le village de Louvemont a été entièrement détruit :
Louvemont pendant la guerre de 14-18.
Il n’en reste effectivement plus rien. Juste une plaque commémorative :
Et un monument aux morts de la commune :
Monument aux morts de Louvemont-Côte-du-Poivre.
C’est le moment de nous recueillir et de penser à Marc, mort à la Cote du Talou, sur la commune de Louvemont le 24 février 1916 dans l’enfer de la Bataille de Verdun. Ce jour-là, il neige, il fait froid, les soldats arrivés en renforts ne savent même pas où se cache l’ennemi. Il faut coûte que coûte défendre Douaumont. Il en coûtera beaucoup effectivement, sans succès. Hélas :
24 février 1916
Au matin, le Général Dégok, Commandant la 74e Brigade, sous le commandement de qui le Régiment est passé, donne au Lt Colonel Delaperche l’ordre de prendre position sur la Côte du Poivre, d’y occuper et améliorer les tranchées existantes.
A 12 h 30, l’ordre arrive de porter immédiatement les deux Bataillons sur la cote 344, en utilisant le cheminement défilé situé à l’Ouest de la route de Vacherauville et de contre-attaquer vigoureusement toute attaque ennemie se produisant entre Samogneux et la cote 344.
A 12 heures 45, le IIè Bataillon (CM Lalauze) part et se porte à la Cote de Talou face au Nord. Il atteint cette cote à 15 heures 15, et attend l’arrivée du Ier Bataillon (CM Lalloz) qui n’a pu commencer son mouvement que vers 13 heures 05. Un parti ennemi tient la cote 344 et le chemin du Moulin de Cotelette. Quelques éléments essaient de déboucher de ce chemin et de gravir la Cote de Talou.
La fusillade des compagnies de première ligne du IIe Bataillon les contient sur ce chemin protégé par des haies artificielles.Vers 16 heures 30, le Ier Bataillon étant arrivé sur les penses Sud-Est de la Cote du Talou, dans le Ravin de la Cage, les éléments de première ligne du IIè Bataillon descendent rapidement les pentes Nord de la Cote du Talou et atteignent bientôt les défenses accessoires derrière lesquelles les Allemands exécutent leurs feux, en même temps qu’ils repoussent les ennemis qui occupent la cote 344 avec des mitrailleuses. Une batterie de 75 en position au Sud de la Cote de Talou, exécute des tirs efficaces sur les Allemands qui s’enfuient. [C’est à ce moment que Marc est tué.]
Cependant, le Ier Bataillon progresse par le ravin au Sud de la Cote 344.
A 16 heures 25, le Lt Colonel Delaperche qui est debout au milieu de la première ligne, observe à la jumelle un parti ennemi qui essaie de prendre en flanc l’attaque, est tué d’une balle au cœur.
Après avoir passé le commandement du IIè Bataillon au Lieutenant Py, qui a passé lui-même le commandement de la 6e Compagnie au Sous-Lt Poillot de la 7e, le chef de Bataillon Lalauze prend commandement des unités engagées, et se relier, à gauche avec le 3e Tirailleurs, à droite avec le 60e d’infanterie.
En outre, pendant cette action, les officiers dont les noms suivent, sont touchés :
Tués : Sous-lieutenant Thouner (4e Cie)
Blessés : Capitaines Bart (7e Cie) et Vallot (8e Cie) ; Lieutenants Colle (4e), Gojon (4e), Œuvrard (2e) ; sous-lieutenant Huard (6e Cie)
La nuit arrive et l’on organise immédiatement la position conquise.
Des patrouilles envoyées en avant ne rencontrent aucune faction ennemie. [2]
Moi-même au terme de ce pèlerinage sur le lieu de la mort de Marc Puissant.
Un panneau nous indique à 380 m une chapelle. Nous nous y rendons.
À gauche au loin, on pénètre dans la forêt, à l’emplacement de l’ancien village.
Creusement de la rue Grande pour un abri de bombardement :
L’église et la mairie de Louvemont avant la guerre :
Au terme de ce pèlerinage sur les lieux les plus proches où Marc a combattu et où il a péri, nous pensons naturellement que nous sommes les premiers de sa famille depuis 100 ans à venir ainsi lui rendre hommage sur les lieux où son corps est mêlé à la terre.
Je songe à tout le travail de recherche que j’ai mené depuis mars 2014 pour faire revivre ce grand-oncle totalement ignoré de sa famille. Il y a quelques mois encore, on ne savait pratiquement rien sur lui. Et aujourd’hui, nous venons lui rendre hommage dans sa dernière demeure, la terre de la Meuse, la terre de Verdun.
Ma mère, sur les traces de son oncle Marc Puissant.
Localisez les principales étapes de notre parcours sur les traces de Marc
Notes
[1] http://champagne1418.pagesperso-ora...
[2] Historique du 35e RI.